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24 novembre 2008 1 24 /11 /novembre /2008 18:19
Le lieu-mouvement n’est pas un labyrinthe. Nous allons voir ici dans quelle mesure un lieu-mouvement n’est pas un labyrinthe. Pour cela nous allons développer entre espace et lieu. On peut distinguer, un espace pré-hodologique d’un espace hodologique. C’est la différence qui existe entre le spatium intensif et l’extensio mesuré et découpé. En somme, le premier est le lieu de l’intensité, le second l’espace stabilisé, mais il reste une faille de laquelle surgit un espace d’opportunité, c’est le Lieu ou espace de l’hodos, qui profite du spatium et dépasse l’extensio. Le voyageur (‘hodoïporos’ en grec), l’errance d’un côté et d’autre (‘hodoïplania’ en grec), errant (‘planios’), égaré (‘plan-odios’) forme tout un champ symbolique, problématique. Une question se pose peut-on errer sans s’égarer ? Le lieu-mouvement n’est pas un labyrinthe. Ceci se confirme avec l’idée qu’il y a trois types de labyrinthe dont un seul est proprement labyrinthique.

1°) l’enchevêtrement « labyrinthique »  (19).  Hubert Damisch  montre que le labyrinthe d’Egypte , le complexe de Houara, diffère du labyrinthe de Crète, palais de Minos à Cnossos, l’un joue de la pernicieuse symétrie mais possède un guide, l’autre n’a pas de guide et même Dédale, son architecte,  n’en a pas le plan. Ces deux labyrinthes se rejoignent en ce qu’ils n’ont qu’une issue (poros). La symétrie est une qualité du labyrinthe en ce que la répétition des motifs légèrement différents étourdit la personne qui y erre. « Les embûches locales [culs-de-sac], les accidents maniérés sont autant de repères, et vont donc à l’encontre du projet ». « Un labyrinthe est une chose faite à dessein pour confondre les hommes … on y rencontrait que couloirs sans issues, hautes fenêtres sans issues » . On peut penser au terrier et à ses chambres terminales, à ses fausses entrées. On aboutit au non-sens, mais c’est en frappant le mur, en s’arrêtant sur un obstacle qu’alors on comprend le labyrinthe, qu’on s’y implique.

2°) l’intrication ou plutôt les séquences intriquées (patchwork)  ¾  Le lieu-mouvement n’est pas « labyrinthique », un labyrinthe du premier type, puisqu’il ne possède pas de culs-de-sac comme les villes ont leurs impasses, les maisons leurs pièces condamnées ou aux murs aveugles. On est loin de la fenêtre obturée du film Nikita de Luc Besson. Comme pour toutes les couloirs souterrains des Etablissement Recevant du Public qui pour des raisons de sécurité ont une issue à chaque extrémité, on entre dans les complexes d’échanges on toujours plusieurs issues.  On pénètre un réseau pour en sortir. Ce n’est pas une destination en soi, on en profite de manière « utilitaire » aurait dit Constant. Alors on s’est expliqué . Toutefois la foule par son effet de nuée peut donner l’effet d’un labyrinthe mouvant.

3°) le ruban de mœbius  ¾.  Espace que l’on parcours, indéfiniment sans au bout du compte s’en rendre compte. « L’idée d’un labyrinthe « pur » voudrait que le dispositif en fût parfaitement homogène et isotrope et que, dans sa complétude, sa circularité, il se refermât parfaitement sur lui-même… » . Il ne pose pas de problème puisqu’on n’a plus envie d’en sortir. On n’y entre ni n’en sort. C’est la ville-monde. L’intrication par excellence. L’Englobant dans lequel on dérive . « Ludique », ainsi on y vit

Hubert Damisch retient trois qualificatifs pour le labyrinthe :
1°) poluplokos  ¾  « même épithète qui qualifiait le poulpe, le serpent, le labyrinthe », c’est le réseau aux  tentacules enlacées, nous dit Damisch.
2°) poikilos  ¾  le labyrinthe est aussi un espace de variétés et de ruse. Ce qui rejoint ce que nous avions vu sur le lieu de valeur et de choix, d’échanges et d’opportunités
3°) polumetos  ¾  on y retrouve le terme mètis, c’est-à-dire qu’à la ruse du labyrinthe il faut répondre. Ceci correspond au « pallaïsme », qui consistait dans l’antiquité à esquiver le coup de son adversaire pour en retourner sa force contre lui. Les sophistes de l’antiquité n’utilisaient-ils pas les arguments de leurs adversaires, de même que les sceptiques utilisaient pour certains la dialectique pour mieux échafauder ses travers.

On passe très facilement d’un type de labyrinthe à un autre. Puisque l’idéal du labyrinthe plus que la symétrie confondante, celle qui diffère d’une variation, c’est à la fois l’homogénéité englobante où il n’y plus de seuil c’est la forêt qui ne possède ni clairière ni allées, et le mur obstacle qui oblige au contour nappe d’un feuillage homogène. En fin de compte c’est la perception qu’on en a qui fait d’un espace un labyrinthe comme le dit Pierre Rosenstiehl, « c’est le voyageur et sa myopie qui fait le labyrinthe, et non l’architecte et ses perspectives » C’est pourquoi « un complexe d’échanges est toujours un labyrinthe en puissance, et parfois en acte » .
Mais le labyrinthe contrairement au lieu-mouvement, est un lieu résidence, prison pour le Minotaure ou « palais » pour l’Houara. En cela on y fait effraction par le poros, dans un but précis intérieur au labyrinthe. Dès lors le parcours est complet  ¾  et non intégral  ¾ dès lors qu’on a atteint son but et que l’on a fait demi-tour vers l’entrée-sortie.  « La règle d’or pour s’extraire du labyrinthe étant de ne jamais parcourir deux fois un même couloir dans le même sens, un cheminement exhaustif (ce qu’on nommera une « battue ») suppo­sera que le visiteur emprunte chaque couloir deux fois exactement, à raison d’une fois dans chaque sens. C’est à une exploration de cette sorte qu’aura été astreint Thésée: seul un parcours saturé lui garantissait de rencontrer le Minotaure pour retrouver ensuite la sortie. ». C’est donc un mythe de croire que l’on en fait un parcours exhaustif même si l’on opère un semblant de battue. Le parcours dans un labyrinthe comme dans un lieu-mouvement est toujours complet en ce qu’il a un début est une fin, tragique ou anodine. Mais le labyrinthe enchevêtré se différencie du lieu mouvement intriqué en ce que l’un ne possède qu’une seule issue et qu’il est parcouru deux fois  ¾  c’est une destination en soi, tandis que l’autre est lieu de passage : il a toujours au moins deux issues et un seul parcours  ¾  même si l’on passe vaguement par les mêmes points, les trajets aller et retour sont parallèles mais distincts.   


En conclusion, l'espace architectural classique ou celui de l'ingénieur est tridimensionnel, c'est-à-dire maîtrisé en son sein, en fait il a pour corrélat des systèmes référentiels d’inertie. Ainsi maîtrisé, un espace tridimensionnel peut être mis en conjonction avec d'autres espaces semblables. L'espace de rencontres ou d'opportunités, quant à lui, est lisse au sens de Deleuze . Il est directionnel et orienté , même s’il possède sa propre dimension propre à un monde sans borne. Ceci est d'autant plus réel que l'on ne sait sur quelles rencontres il ouvre. Ainsi nous retrouvons l'espace hodologique (mesuré) qui vient se superposer sur l'espace pré-hodologique, tel que Véronique Bergen nommera l'espace strié et l'espace lisse. Bergson dira « d'une manière générale, mesuser est une expérience toute humaine, qui implique qu'on superpose réellement ou idéalemnent deux objets [les espaces précédemment cités] l'un à l'autre un certain nombre de fois » . Encore une fois c'est le parcours qui est labyrinthique, non t'espace. C'est la vision peu assurée que l'on a de l'espace qui est labyrinthique et non le lieu en lui-même. On pourrait croire que tout est affaire de totalité, mais en réalité tout est affaire d’intensités, de lieu d’intensités, de blocs d’intensités (les quantums d’énergie). Cette différence entre espace de représentation et lieu d’intensité est celle qui existe entre philosophie de l’Ouvert (à partir de Descartes) et philosophie du Dehors (à partir de Nietzsche-Deleuze).  Il ne s’agit plus de représenter des formes mais d’activer des intensités.

19.    Le Labyrinthe d’Egypte au Nord de Médinet-el Fayoum, fait de 12 cours couvertes et consécutives est décrit par Hérodote, livre ii des Histoires, par Strabon, Géographie, xvii, et par Pline l’Ancien, Histoire naturelle, xxxvi. Le terme labyrinthe est employé pour ce site par Hérodote non pour qualifier un « réseau inextricable de galeries » qu’un parcours erratique, voir DamSN_53 : « L’effet "labyrinthe" procédant moins de l’architecture des lieux que des parcours erra­tiques auxquels celle-ci prêtait jusqu’en sa symétrie même. »
20.    Pierre Rosenstiehl, « Les mots du labyrinthe », in Cartes et Figures de la terre, Paris, Centre Georges-Pompidou, 1981, _186
21.    J.L. Borges, « L’immortel », in Aleph, _23.
22.    L’intrication se distingue de l’enchevêtrement, pour établir cette différence Deleuze prend les exemple du feutre,  et du tissage pour le second.
23.    Comme l’a montré Bergson ce sont deux choses différentes que comprendre et expliquer, l’un participe de la reconnaissance involontaire, l’autre de la reconnaissance attentive. BgMM_187.
24.    DamSN_55
25.    Voir Balzac, Physiologie du Mariage : « La plupart des hommes se promènent à Paris comme ils mangent, comme ils vivent, sans y penser .. Oh ! errer dans Paris ! adorable est délicieuse existence ! Flâner est une une science, c’est la gastronomie de l’œil. Se promener, c’est végéter ; flâner, c’est vivre. » Cité in HazIP_393
26.    ποικιλως : adverbe signifie soit "avec variété", soit "avec ruse" (voir dict. Bailly).
27.    Pierre Rosenstiehl, op. cit., _95.
28.    G. Amar – ratp : ARU71_99.
29.    Dam SN _51.
30.    Sur la complétude de l’expérience, voir Dewey, Art as Experience, 1934, DewAE_38-43.
31.    DzMP_609 : un tel espace lisse, amorphe, se constitue par accumulation de voisinages, et chaque accumulation définit une zone d’indiscernabilité propre au devenir.
32.    Sur dimensionnel et directionnel. Voir DzMP_599.
33.    BgMM_219.
34.    Dewey dans son livre Art as experience (DewAE, 1929) rend bien compte de l’expérience comme étant un bloc avec son commencement, son intensité maximale et sa retombée. Les synonymes au terme « intensité » sont chez Deleuze « singularité » ou déterminant de la différenciation, chez Spinoza « éternité », chez Bergson « nouveauté ». La retombée d’intensité est très significative chez des créateurs comme Einstein ou Deleuze, qui par une volonté d’unification de la science ou de totalisation rétrospective ont abandoné leur quête d’intensité.
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